Pour Henri Zuber, paysagiste, les vraies périodes de travail d’après nature, “les moissons d’études” comme disait son ami et critique Émile Michel, étaient ses séjours prolongés à la campagne. Sa fille Anna qui fit preuve d’un réel talent de peintre, écrivait: “Nous restions trois mois loin de Paris, nous louions une maison dans un village ou un bourg d’un pays d’abord exploré, puis jugé riche en beaux motifs. On y vivait en sauvage et en famille à jouir du plaisir simple de la campagne et à travailler”. Nous suivons, aujourd’hui, Henri Zuber dans un de ces lieux de séjour campagnard, aux confins des monts du Jura méridional, dans un bourg appelé Artemare à une quinzaine de kilomètres au nord de Belley, qui accueillit Lamartine en son collège et fut le berceau du grand gastronome Brillat-Savarin.
Le 12 juin 1879, Henri Zuber arrive en train ä Artemare, dans l’Ain, et s’installe pour quelques jours à l’hôtel Buffet. Il a loué une maison dans le hameau de Cervérieux, aujourd’hui, un quartier d’Artemare, qui est célèbre pour une fort jolie cascade sur le Séran. Il y fait transporter » des meubles et des caisses, achète du charbon et du bois, 117 litres de vin, un arrosoir, des descentes de lit et un paillasson « . Il restera à Cervérieux jusqu’au 24 octobre, puis rentrera à Paris. Pendant ce long séjour, il peint tous les jours les sites les plus pittoresques. Il reviendra à Artemare en 1881 et fera un séjour comparable, interrompu par 3 semaines au Mont-Dore pour soigner sa femme, très malade, qui décèdera le 24 octobre. Il y retournera, de nouveau, en avri1 1892 et y passera tout le printemps, jusqu’en juin.
Sa fille Anna décrit ainsi la maison de ses vacances : Nous avons passé l’été à Cervézieu, près d’Artemare, dans une petite maison ombragée de deux gros marronniers plantés sur une terrasse surplombant un jardin ensoleillé en pente douce. Nous étions entourés d’une falaise de hauts rochers et 1’on se perdait sur le plateau fait de grandes dalles entre lesquelles fleurissaient de larges oei11ets roses. C’était le royaume des serpents, vipères comprises. Combien de fois papa revenant de peindre là-bas, a-t-il rapporté au bout de sa pique une immense couleuvre dont il avait percé la tête ! La petite maison était très sombre et fraîche et, par beau temps, tous les repas se prenaient sous les marronniers. Je devais être mignonne avec mes petits bras nus jusqu’à l’épaule, de minces petites robes étroites et courtes et mes cheveux ramenés en arrière par un grand peigne arrondi.
Nous ne savons pas pourquoi, en 1879, Henri Zuber s’installe pour un été à Artemare. Ni comment il a découvert cette région superbe du Bas Bugey, au pied des montagnes du Grand Colombier. Mais nous savons, par son livre de compte, que du 12 au 28 mai, Henri Zuber, qui a passé 1’hiver a Menton, rentre en train à Paris via Aix les Bains, Annecy, Artemare et Lyon, pour le prix de 413,75 frs. En 1879 il n’y avait pas grand choix pour aller de Paris à la Côte d’Azur.Le PLM avait mis en service, des 1856, la ligne Paris – Lyon – Marseille sans transbordement, qui quittait Paris à 20 heures pour atteindre Marseille le lendemain à 15 h 15, soit un long trajet de 19 heures 15, à la moyenne de 45 km/h. Tous les 200 km, il était nécessaire de s’arrêter pour changer de locomotive, nettoyer les grilles, vider les cendriers de charbon, refaire les réserves d’eau et de combustibles et reposer les mécaniciens.
En 1878 vient d’être mise en service la ligne qui va de Menton à Lyon et Paris, par Grenoble, Chambéry, Aix, Ambérieu. C’est cette ligne nouvelle que prend Henri Zuber et qui lui permet de découvrir des paysages nouveaux. Il s’arrête souvent en route pour plusieurs jours. La ligne de chemin de fer longe le lac du Bourget, proche du lac d’Aiguebelette, traverse le Rhône et fait un large crochet vers le sud pour éviter les contre-forts des monts du Jura. Dans cette boucle se trouve la gare d’Artemare, aujourd’hui disparue. Le peintre fait une halte dans le Bugey. II est immédiatement séduit par la région, car il loue des meubles pour sa future installation, avec sa famille, le 12 juin suivant. De là il pourra rayonner dans les environs soit en train, sur cette ligne qui ne comporte pas moins de 15 gares d’Aix a Lyon, soit en voiture, à cheval bien sûr, que l’on peut aisément louer pour la journée, et surtout à pied, car nous savons qu’Henri Zuber est un grand marcheur.
Dès 1877, le PLM se dote de voitures de première classe d’un confort que l’on n’imagine pas aujourd’hui, voitures pullman, voitures salon, voitures munies de vrais lits, coupés-fauteuils. Mais tout ce confort ne compensait pas certains inconvénients. Prisonniers de leur compartiment, car il n’y avait pas de couloir, et privés de toutes » commodités « , les voyageurs n’avaient pas d’autres solutions que de descendre à 1’arrêt le plus proche. Souvent le chef de gare se montrait conciliant et retardait quelque peu le train pour attendre les passagers. Il est vrai que quelques années avant, l’administration avait proposé d’aménager une voiture spéciale pourvue d’un water-closet avec une antichambre en guise de cabinet d’attente. Mais les voyageurs qui y avaient pris place, étaient contraints d’attendre la station suivante pour regagner leur compartiment. En 1879, 1’administration rappela aux Compagnies que si l’introduction de W.C. n’était » nullement obligatoire, elle était dans l’intérêt du bien-être des voyageurs. » Jugée trop coûteuse, cette recommandation ne fut appliquée qu’en 1892 et dans les voitures de première classe seulement. Elle ne deviendra obligatoire qu’en 1904. Ceci explique sans doute que beaucoup de voyageurs préféraient couper les longs trajets par des haltes salutaires au grand bénéfice des nombreuses gares de village qui jalonnaient les parcours.
Les Salons
Henri Zuber a exposé à divers Salons quatre grandes huiles peintes à Artemare : le Flon à Massigneux en 1879, Le gué sur le Séran en 1882 et Floraison d’avril aux environs d’Artemare en 1893. Enfin en 1894 : Les Châtaigniers de Nimidas. Nous reproduisons quelques-unes des nombreuses critiques écrites dans les journaux à cette époque.
LE GUÉ SUR LE SÉRAN
Huile sur toile d’Henri Zuber » M. Zuber n’a présenté qu’une toile cette année, le Gué, d’un sentiment adorable, exécution merveilleusement souple, aiguisée et précieuse, le ciel surtout, un grand ciel brumeux, à peine formulé avec des tons roses, gris et bleus, a une harmonie tendre qui est d’un charme inexprimable. M. Zuber est l’un des paysagistes les plus éminents de l’école contemporaine, un de ceux dont le style atteint une rare puissance. II peut mieux faire encore et il faut souhaiter le revoir au prochain Salon avec des œuvres donnant toute l’expression de son talent magistral « .
M. Champier, artistic correspondence Ets Bonneau à Londres.
FLORAISON D’AVRIL
Huile sur toile d’H. Zuber » Monsieur Henri Zuber est un artiste d’infiniment de talent dont on prise très haut tableaux et aquarelles. Ses Floraisons d’avril démontrent éloquemment que l’excellent artiste tient à ce que la balance soit égale pour les diverses manifestations de son pinceau. II a peint avec infiniment de distinction et de remarquables délicatesses de palette ce tableau dont on ne se lasse pas d’analyser les multiples qualités « . Journal de l’Art, 1er mai 1893, signé Paul Leroi. Ce tableau est au Musée de Saint-Étienne.
LE SÉRAN À CERVÉZIEU
Huile sur toile d’H. Zuber » Le Séran à Cervézieu est un morceau de gourmet. Quelle simplicité de pâte et quelle puissance d’effet ! M. Zuber est un grand paysagiste et j’ajoute que j’aime mieux pour son talent la voie actuelle que le genre de ses anciennes productions où la recherche du paysage historique donnait à son pinceau un caractère de classicisme un peu outré. Je veux parler du Dante et Virgile du Salon de 1878 qui, cependant, était une œuvre remarquable. » A. Mateur, Journal des Arts.
En 1879, les impressionnistes tinrent leur quatrième exposition ; la critique s’acharna à ridiculiser leur style relâché et le pêle-mêle de leurs couleurs. Ce dessin tiré du Charivari illustre ces attaques et suggère ironiquement que 1’aliénation mentale soit l’explication la plus charitable de leurs étranges techniques. Cette critique acerbe se poursuivra encore des années, et l’on peut lire lors du salon de 1894, alors qu’Henri Zuber présente « les châtaigniers de Nimidas « , huile sur toile peinte dans la région d’Artemare, le commentaire suivant : Pendant que des chevelus inspirés. armés de lorgnons. inventent une nature bariolée aux couleurs » symboliques » qui les fait couvrir de médailles par les jurys en délire, nos paysagistes, heureusement, s’efforcent toujours de voir la nature comme elle est !
M Zuber a peint les châtaigniers de Nimidas. Ces arbres sont assez rares en peinture malgré leurs belles attitudes de noblesse Monsieur Zuber a réussi dans toute l’acception du mot. C’est amplement brossé et fini très délicatement. Une belle toile !
Le four banal appartenait au seigneur, et tous les habitants de la seigneurie étaient tenus d’y aller faire cuire leur pain en payant une redevance, à l’exception des nobles et du clergé qui n’y étaient pas soumis. Le seigneur pouvait confisquer à son profit les pains dont la cuisson avait eu lieu ailleurs qu’au four banal. La farine devait être apportée à l’avance, souvent plusieurs jours, et le seigneur était tenu de cuire le pain dans un délai fixé. Ce droit, d’origine obscure, devint rapidement impopulaire. A Paris, Philippe Auguste y renonça dès 1222, mais il dura bien plus longtemps en province et ne fut définitivement aboli qu’en 1793.
Les changements importants des techniques picturales, et le XIXe siècle en a vu de considérables, sont liés pour une grande part à la création de nouveaux produits mis au service de l’artiste. L’invention du tube de peinture en étain a présidé, dit-on souvent, à l’éclosion de la peinture de paysage » sur le motif », c’est-à-dire peint directement sur place, en présence du sujet. De fait, si les avantages du tube sont évidents : facilité de transport et d’utilisation, pas de préparation préalable importante, ils ne sauraient occulter d’incontournables contraintes et les limites imposées, alors, à son utilisateur. Cela commence par la méconnaissance par celui-ci des ingrédients contenus dans le tube, rendant son usage aléatoire: les mélanges de couleurs deviennent instables et souvent ternes d’où la nécessité de recourir à un grand nombre de pigments purs qui ne sont pas toujours compatibles entre eux. Le séchage, très long, entraîne des difficultés de transport avec des risques fréquents que les toiles se collent. L’épaisseur des couches accroche les poussières, enfin le broyage exclusif à l’huile donne un aspect vernissé et éblouissant qui oblige le peintre à s’équiper d’un parasol fort gênant au moindre vent. Même si Henri Zuber, dont la technique de peinture acquise chez Gleyre était essentiellement académique, avait beaucoup évolué par rapport à ses premières œuvres, il n’avait pas adopté la nouvelle touche impressionniste, ni : les couleurs pures juxtaposées, ni l’emploi de brosses courtes et de couteaux ou spatules. Cela nécessitait des palettes importantes avec des couleurs spécifiques par motif. On peut se demander dans quelle mesure l’œuvre de peinture à l’huile d’Henri Zuber est un travail de plein air; il est probable que le peintre fixait à l’aquarelle les lumières qu’il saisissait directement dans la nature et travaillait ensuite en atelier les oeuvres qu’il avait entreprises.
L’eau est une chose vivante, elle peut avoir l’air tranquille et profonde, lisse et douce, elle peut ressembler à 1’océan ou s’incurver en sinuosités, elle peut être onctueuse et luisante, étincelante, bouillonnante, jaillissante comme une pluie de flèches, l’eau est le sang de la terre. Les rochers sont le squelette de la terre, on doit sentir leur profondeur sous le sol, ils nese révèlent pas tout entiers a la surface…
Lettre d’Henri Zuber à Mme B. en 1884.
La période 1871-1881 se termine tragiquement en 1881 ä Artemare avec la mort de sa femme qui le laisse veuf, avec 4 enfants dont l’aînée a 9 ans. Mais ces onze années vont voir mûrir le talent d’Henri Zuber et s’affirmer sa maîtrise dans une technique nouvelle pour lui, l’aquarelle, dans laquelle il va exceller, devenant un des piliers du nouveau Salon des Aquarellistes Français
En 1892, Henri Zuber séjourne à Artemare au printemps ce qui lui permet de peindre un grand nombre d’aquarelles printanières et d’arbres en fleurs. Sa fille Anna qui l’accompagne alors dans ses excursions écrit : » J’ai fait des parties de peinture, seule avec Papa, quelquefois loin dans la montagne au bord des torrents à l’eau glauque et glacée ou sur les terrasses plantées d’amandiers en fleurs. Parfais dans les prés blancs de cerisiers au dans les prairies de montagne à l’herbe haute et fleurie sous les pommiers en fleurs. »